Je suis la petite dernière de la grande famille Feun. D'ailleurs, j'en suis l'unique fille, avec pas moins de six frères aînés qui m'ont précédé. Je ne prends pas en considération les divers enfants hors-mariages de mon père, sinon j’en perdrais assez rapidement le compte. En tous les cas, ce surplus de testostérone dans mon environnement familial dès ma naissance n’a sans aucun doute pas manqué de m’influencer grandement, notamment au niveau de mon caractère, au grand damne de ma chère mère. Cette dernière avait tant espéré un semblant de douceur et de féminité de la part de son unique fille, en prévoyant bien avant sa naissance une chambre entièrement. Malheureusement pour elle, je n’ai jamais vraiment pu correspondre à ses attentes sur ce point, et je ne pense pas que j’y correspondrais un jour. Il faudra qu’elle attende ses belles-filles pour cela. Sauf si elle décide d’avoir encore un autre enfant. Pas sûr qu’elle ait la chance d’avoir à nouveau une fille toutefois. Heureusement que mon physique au moins lui convient.

Mon père ne m'a pas épargné en ce qui concerne mon éducation. Il fut tout aussi sévère avec moi qu’avec ses fils. Ainsi, grâce ou à cause de lui, mon but dans la vie est de viser l’excellence dans tout ce que je j’entreprends. Ce mot est tellement important pour moi que je me suis décidé à le tatouer en bas de mon dos, en signe chinois, afin de montrer, en quelque sorte, que cette volonté représente une importante de moi-même. Mais personne, sauf un homme, n’est au courant de l’existence ce tatouage, et c’est mieux ainsi. Sinon mon père aurait cherché par tous les moyens le moyen de l’effacer de la peau de sa précieuse petite fille, et je ne parle pas de ma mère.

Je fus et suis toujours traité comme une princesse au sein de ma famille. J'aurais tort de trop me plaindre ; certains iraient jusqu’à tuer pour en avoir une aussi belle et aussi grande. De plus, je n’ai jamais manqué de rien grâce au statut financier dont nous bénéficions. Mais en tant qu’unique enfant de sexe féminin des Feun, j'ai toujours eu l’impression de manquer de liberté. Imaginez avoir six frères tous aussi protecteurs de votre personne les uns que les autres. Il y a de quoi perdre la tête de temps à autre. Même si je les aime tous autant qu’ils sont, il me semble normal que je me sente parfois suffoquer parmi tant de preux chevaliers. Heureusement pour moi qu’à présent, ils sont tous souvent trop occupé avec leurs études ou leur vie professionnelle ou personnelle ; je peux enfin me sentir libre. C’est peut-être pour cette raison que je rêve de devenir réalisatrice, ou bien journaliste-reporter. Ce sont des métiers synonymes de liberté, où je n’aurais de compte à rendre à personne. Je n’ai pas l’intention de me laisser dicter ma voie, et surtout pas par mes parents. D’ailleurs, je ne supporte plus tellement que ma mère organise des rencontres arrangées avec des garçons de la haute société de la capitale…

Le lycée… Je ne suis pas sûre que j'aurais pu supporter une intrusion dans ma vie par mes chers frères durant cette "merveilleuse" période. J'ai l'impression de m’y trouver depuis une éternité. Mes études ne sont pas réellement un problème ; mes notes sont si excellentes que mes professeurs me voient déjà en tête de classement dans les meilleures universités coréennes, voire étrangères. J'ai rapidement intégré l’équipe de baseball de l'établissement, en tant que lanceuse titulaire. Étant très sportive, je n’eus aucun problème de ce côté-là. Cette activité me permet de me défouler lorsque trop d’émotions ou pensées envahissent mon esprit. C’est presque aussi efficace que l’alcool. Je me demande ce que pourrait donner le mélange des deux… Ma mère aurait bien évidemment préféré que je me joigne à l'équipe des pom-pom girls de l’établissement. Moi vivante, jamais je ne pourrais en faire parti. Sans aucunement dénigrer les jeunes filles qui en font parti, bien au contraire, je les trouve vraiment fantastique. Justement, je ne conviendrais jamais à leurs critères, et de ce fait, je veux éviter de me ridiculiser face à de telles superbes créatures.

Durant ma seconde année à Yu Gwan Sun, j'ai rencontré un homme. Un homme dont je ne connaissais rien, et qui ne connaissait rien de moi non plus. Cet anonymat ne nous dérangeait absolument pas, bien au contraire. Cette relation nous convenait parfaitement telle qu’elle était organisée ; une relation purement physique évidemment, où les mots ne signifiaient rien, ou lorsqu’ils étaient dit, ils n’étaient que mensonges. Après quelques mois ensemble, je me mis à espérer plus, sans rien en dire à mon partenaire, de peur de le faire fuir. C’était jusqu'au jour où je tombais enceinte. Cette personne, si s’en est réellement une, me proposa immédiatement son aide financière… pour avorter. Je n’avais jamais pensé à garder cet enfant dès l’instant où j’avais découvert son existence. Toutefois, la réaction de cet homme me parut disproportionnée, et offensante. Il avait sa part de responsabilité, et j’aurais préféré qu’il soit plus modéré dans ses propos, quitte à me demander mon avis, au lieu de faire un choix, et de me cribler d’insultes plus blessantes les unes que les autres. Ce jour-là, j'ai vécu la plus grande humiliation de ma vie, et rien que d'y repenser, j’en ai mal au cœur. En considérant mon caractère, vous pouvez bien vous imaginer que ma réaction fut épique. On ne s’adresse pas de cette manière à Feun Chi Yin. Je crois que cet homme s’en souviendra encore longtemps, avec une légère cicatrice sur sa joue droite infligée par mes ongles fraîchement manucurés.

Pendant les premières semaines, je tentais tant bien que mal de dissimuler mon état, tout en me renseignant sur les procédures à suivre pour me débarrasser de cet enfant qui continuait à grandir en moi chaque jour un peu plus. J’ai beau avoir un fort caractère, je n’étais pas si insensible à cette décision. Elle me hante encore aujourd’hui. Mais avais-je seulement le choix ?

Si mon plus jeune grand frère ne m’avait pas assisté durant cette période de ma vie, je n’imagine même pas où j’en serais à présent. En effet, Su Ri, en jeune homme intelligent, remarqua rapidement que j’étais enceinte. Je lui avouais tout à contre cœur. J’avais beau être extrêmement proche de lui, je ne voulais pas qu’un membre de ma famille soit au courant de cette histoire. Mais après tout, lui m’avait bien confié son plus grand secret, alors pourquoi pas moi ? J’eus raison de le faire. Su Ri alla jusqu'à se rendre avec moi à la clinique pour avorter. Tout se passa aussi bien que pouvait se dérouler un avortement. Le médecin m’annonça que j’aurais de grandes difficultés à avoir d’autres enfants dans le futur, et mis fin à mon rêve de fonder à mon tour une famille nombreuse.

Cet événement a eu le mérite de me rapprocher de mon grand frère, et je ne m'imagine même plus me passer de lui. À mon tour, j’essaie de lui venir en aide lorsqu’il en a besoin. D’ailleurs, je ne comprends toujours pas comment il peut accepter aussi calmement le mariage que lui imposent nos parents. Aussi, j'ai bien l'intention de l'en dissuader, quitte à me faire incendier par mes parents -et sûrement sa fiancée- s'ils l'apprennent.

Aujourd’hui, je tente d’aller de l'avant. Je suis revenu à mes anciennes habitudes : sorties, coups d’un soir et toute activité de la jeunesse dorée de Séoul. Et après tout, je ne suis encore qu'une lycéenne, alors autant se comporter comme tel... Même si je peux paraître superficielle, je le fais parce que je ne veux plus souffrir autant. Malheureusement, la peur ne cesse pas de hanter mon esprit : à cause de cet homme, que je pourrais croiser par hasard à l'un des coins de rue de Séoul ; et à cause de mon secret, que je n’aie pas envie de voir découvert au grand jour.