Le téléphone de Seung Ho vibra de manière fort peu discrète, interrompant un instant le monologue du chef de projet qui présentait le dernier plan marketing du groupe. D’un geste, le jeune homme lui fit signe de poursuivre, ignorant délibérément les quelques regards de travers que lui avaient lancé les plus courageux - il n’avait de compte à rendre à personne.
Puis, en toute sincérité, la réunion de ce samedi matin était soporiphique, et son portable lui avait évité de sombrer dans un sommeil qui n’aurait pas été du goût de ses subordonnés. Il s’empara de l’appareil, ses yeux s’écarquillant en lisant le nom de la personne qui lui avait envoyé un message. Du doigt, il caressa l’icone qui clignotait à l’écran... et s’étouffa une poignée de secondes plus tard en lisant le contenu du sms de Young Mi.
Cinéma ?
Dîner ?
Parents ?
Ce soir ?!Cette requête, de la part d’une petite amie, était somme toute naturelle. Officialiser un couple, recevoir la bénédiction des aînés, il pouvait le comprendre, était le rêve de toute adolescente enamourée.
Mais quinze jours après leur premier baiser ? Quinze jours après leur
seul baiser ?
Là, il y avait de quoi paniquer.
Etrangement, la perspective de passer la journée enfermé dans la salle de réunion - à écouter ses employés ânonner chiffres et statistiques - ne lui parût plus aussi horrible que cela. Les mains moites, il pianota tant bien que mal sur son Blackberry :
«Travaille ce weekend. Plus tard peut-être. Transmettre mes respects à tes parents.»Mais au moment d’appuyer sur ‘Envoyer’, il hésita... sa conscience, sa satanée conscience fit surface...
N’était-ce pas trop froid, trop impersonnel comme réponse, de la part d’un petit-ami ? Il ne le savait pas précisément, n’ayant jamais eu de mots doux à écrire dans sa jeunesse, mais s’en doutait. Tous les coeurs dont Young Mi avait agrémenté son sms le faisaient culpabiliser.
Il serra les dents, se mordilla les lèvres, indécis.
Puis soupira profondément, et reposa dans un geste sec le téléphone. Young Bae, le chef de projet, bafouilla en plein milieu d’une phrase, et devait sans doute lui en vouloir de ne pas suivre avec suffisamment d’attention l’exposé de la situation. Seung Ho se força à maintenir une attitude digne et sérieuse le restant de l’heure, l’esprit divaguant toutefois, et revenant impitoyablement à la petite bestiole à puce qui lui faisait face, sur la table, et qui attendait une réponse de sa part.
Fichu téléphone.***
10h30, et il faisait maintenant les cent pas dans son bureau, aller, retour, aller, retour, depuis au moins un bon quart d’heure maintenant.
Il n’aurait pas dû la laisser l’embrasser, il y a deux semaines. A vrai dire, il n’avait pas eu le choix, et avait plutôt tacitement accepté ses sentiments.
... Soyons francs. Il n’avait pas su comment réagir.
Pourtant, il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait, et elle avait semblé, lors de leurs derniers tête-à-tête, qu’elle ne tenait pas à ce qu’il se confesse d’une quelconque façon. D’où pouvait donc lui venir cette idée de dîner ?
Lui qui avait passé concours sur concours allait mourir sous le coup du stress avant l’heure fatidique. La proposition de Young Mi l’avait pris par surprise (comme son baiser, d’ailleurs). Qu’avaient-ils en commun, après tout ? Lui avait un emploi, une carrière. Elle avait... elle n’avait que 17 ans, pour l’amour du ciel ! Que trouvait-elle donc à un homme qui s’habillait dans des tons plus gris que gris, qui n’avait rien d’une de ces idols qui rendaient les adolescentes hystériques, et qui n’avait jamais parlé que mathématiques avec elle ?
... se pinçant le nez, Seung Ho grimaça. Young Mi devait avoir de graves problèmes psychologiques. Il avait le devoir, en adulte responsable, de mettre un terme à ce crush improbable et inexplicable.
Mais quinze brouillons de sms plus tard, il se trouvait tout aussi incapable d’émettre un refus catégorique. La faute aux petits coeur du message de la demoiselle. Lui briserait-il le sien, en lui renvoyant sa proposition à la figure comme un chiffon sale ?
Cette hypothèse lui rongeait l’esprit plus sûrement que de l’acide...
Ah, fichu téléphone !Une heure plus tard, il n’avait toujours pas de réponse de prête.
A midi, il abdiqua.
***
«Suis libre à partir de 14h. Te retrouve sur la grande place, devant le cinéma.»